samedi 26 novembre 2011

Les fantômes d'Hamlet : être ou ne pas être ?

La folie d'Hamlet a fait couler beaucoup d'encre. A la lumière de la psychogénéalogie, faisons surgir les âmes errantes qui hantent l'esprit du héros de la tragédie.
Deux psychanalystes hongrois de génie, Nicolas Abraham et Maria Torok, peuvent nous aider aujourd'hui à comprendre la notion de fantôme transgénérationnel. Ces deux auteurs ont pu mettre au jour au fil de leur pratique l'idée qu'une personne pouvait être la "crypte" d'un "fantôme générationnel", c'est à dire souffrir d'une névrose d'influence et devoir revivre comme une fatalité le destin d'un ancêtre.

La crypte et les fantômes

Ils notent par exemple que lorsqu'un enfant porte le prénom de l’enfant mort né qui le précède, il est comme prédestiné et obligé de vivre la vie d’un autre, l’enfant ne se sent pas à sa place, ne vit pas sa vie mais celle de l’autre. Ce cas n’est pas réservé aux enfants de remplacement après une fausse couche ou une mort prématurée d’un bébé ; on peut trouver le même cas de "psychose d’influence" ou de "névrose d'influence" (selon la gravité des symptômes) dans le cas de la reprise du prénom d’un ancêtre défunt. Le « fantôme » que l’enfant porte en lui a alors une telle importance qu’il semble lui voler son identité, sa vie, sa place. D’où une incapacité à prendre sa place dans la vie. Le poids des secrets de famille est alors si lourd que la personne semble dépossédée de sa vie, elle semble hantée par la vie de l'ancêtre.

Le fantôme du père d'Hamlet

La folie d'Hamlet... Folie réelle, folie feinte ? Essayons de l'étudier avec l'outil de la psychogénéalogie pour découvrir l'influence du fantôme du père sur le jeune héros de la tragédie shakespearienne. Hamlet ici nous éclaire, quand le génie poétique de Shakespeare nous montre le héros littéralement hanté par le fantôme de son père, Hamlet l’ancien. La pièce s'ouvre sur une apparition de ce fantôme paternel à Hamlet. Son défunt père lui a ordonné d’accomplir à sa place la terrible vengeance contre Claudius, son assassin. Et c’est bien hanté par le fantôme du père qu’il prononce son célèbre monologue, quand « Être ou ne pas être » est la quintessence de ce tiraillement. Hamlet hésite, aboulique, hésitant toujours entre accomplir la volonté inaccomplie du père ou accomplir sa propre volonté, entre continuer à vivre à la place de son père Hamlet l’ancien ou vivre la vie d’Hamlet le jeune. C’est ainsi qu’Hamlet pourra dire : « Il en faut des morts, pour qu’un fantôme retrouve la paix."

Une vie volée : la folie d'Hamlet

Mais ce fantôme provoquera folie (apparente ou réelle) et suicide : il n’y a pas de place pour deux êtres en un seul homme. Hamlet dira plus loin dans la même scène en s’adressant au fantôme de son père : « Et dis-moi, vaillant papa, qui donc vais-je, à défaut de fils ou de parent, importuner ; qu’il venge mon lâche assassinat ? ». Avec Hamlet, on voit bien que les morts de Claudius, d’Ophélie et d’Hamlet lui-même n’ont pas permis au fantôme de retrouver la paix. Hamlet conclut donc, toujours dans le même monologue : « Avec moi s’éteint ta souche ! » Et on le constate en psychogénéalogie, si la solution n’est pas trouvée, la souche risque de s’éteindre. La famille disparaît, comme si les descendants, faute d’avoir trouvé la solution au problème de leurs ancêtres, ne pouvaient continuer à transmettre le nom et l’héritage généalogique.

Les dettes familiales : le poids de la malédiction

Il semble bien en réalité que la quête non résolue d'une génération revienne hanter sur le mode pathologique la ou les générations suivantes, comme autant de remises en scènes des traumatismes non résolus, des secrets de famille non éclaircis à une génération. La génération suivante se sentirait investie, d’une certaine manière de cette part de l’héritage psychique, ce qui peut s’exprimer tant au niveau du corps, de l’âme ou de l’esprit, comme on l’a vu plus haut. Comme l’a dit le psychiatre américain Ivan Boszormenyi-Nagy, dans certaines familles il existe une sorte de registre des comptes familiaux sur plusieurs générations. À un moment donné, un descendant est obligé ou plutôt se sent investi de la mission de régler la note et de tout remettre à zéro, comme s’il fallait payer les dettes du passé.
Dans ce cas, un travail thérapeutique peut se révéler fort utile, car le poids de leurs fautes leur appartient et le descendant peut s'en libérer pour vivre sa vie en toute liberté.

A lire : Nicolas Abraham, Maria Torok, L'écorce et le Noyau, Poche 2009.
Pour les différentes citations, voir William Shakespeare, Hamlet, Acte VI scène 2.

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